dialogue pierre DUKAN jacques ATTALI 1 source le figaro
L’obésité est l’un des plus gros problèmes mondiaux. Ses chiffres ont doublé en trente ans, elle touche une personne sur dix et s’installe maintenant dans les pays émergents. Quel rôle peuvent jouer les pouvoirs publics ? Le surpoids est-il devenu un nouveau signe extérieur de pauvreté ? Sommes-nous condamnés à la tyrannie des apparences et des normes ? Le nutritionniste et l’économiste s’interrogent. Réponses d’experts.
Madame Figaro. Pourquoi grossit-on aujourd’hui plus qu’hier ?
Pierre Dukan. On grossit car il y a un conflit entre la société et l’individu. L’individu recherche le plaisir et l’épanouissement dans un monde qui ne lui en offre plus beaucoup. Il n’est pas pur esprit, il a des pulsions et des émotions. Bref, il ne parvient plus à satisfaire ses aspirations fondamentales au beau et au sacré. Et comme beaucoup de voies d’accès aux plaisirs naturels sont fermées, il mange pour satisfaire son besoin ludique.
Jacques Attali. Lorsque l’on vit dans une société qui engendre un manque, on le comble de toutes les façons possibles. La drogue est une échappatoire, et, d’une certaine façon, la nourriture en est une quand elle est obsessionnelle. Elle devient une addiction. Les gens voyagent, déménagent et en même temps ils sont de plus en plus sédentaires car assistés. Ils font moins d’efforts physiques. L’industrie alimentaire tend aussi à faire consommer des produits en créant de l’addiction.
Si l’on ne veut pas que les générations futures soient en surpoids, faudra-t-il passer par des interdits chez les industriels ?
Jacques Attali. Évidemment ! Certaines grandes entreprises alimentaires sont dirigées par des gens intègres ayant l’obsession de lutter contre l’obésité pour des raisons morales mais aussi parce que c’est une condition de leur survie : un jour, on va leur tomber dessus avec une interdiction absolue d’utiliser du sucre. Malheureusement, d’autres dirigeants mettent en avant des produits diététiques qui ne représentent que 0,01 % de leur production tout en continuant à vendre leurs produits caloriques.
Pierre Dukan. Il arrivera un moment où la souffrance et le coût seront tels que l’on sera obligé de changer. Les grandes marques de fast-food qui, pour l’instant, ont « fabriqué » du surpoids finiront par comprendre qu’elles gagneront plus en étant vertueuses.
Jacques Attali. Oui, à condition qu’il y ait une réglementation. Il y a une demande dans certains pays, mais elle n’existera pas à temps à l’échelle mondiale : l’obésité va se propager en Afrique et en Chine. C’est là que se situe le grand mouvement. Les Africains, qui souffrent de la faim, vont basculer dans une obésité de la misère.